Contre Banksy

🇫🇷 Article paru sur le numéro 27 de Graffiti Art Magazine.

Quand Banksy fit monter un stand à Central Park pour vendre ses pochoirs 60 dollars, j’étais juste à quelques mètres, en train de faire du jogging. Le lendemain, alors qu’il revendiqua la paternité de cette opération dans le cadre de sa résidence newyorkaise Better Out Than In, j’ai essayé d’imaginer ce que j’aurais fait si, par hasard, j’avais croisé son stand en courant : bien que mon œil serait tombé sur les traits si familiers du combattant au bouquet de fleurs, j’aurais presque sûrement pensé qu’un petit malin était en train de profiter du buzz pour vendre des fausses copies. Ainsi, persuadé de mon « bon sens » j’aurais laissé tomber, et une fois apprise la vérité j’aurais bien rigolé de moi même. Pourtant, mon amertume n’aurait pris que la forme des quelques milliers de dollars inexorablement manqués : pas de remords pour avoir raté l’occasion de posséder un « vrai » Banksy ! Aurais-je dû en avoir, d’ailleurs ? Le critique britannique Julian Spalding a forgé une expression, « con art » (où con indique à la fois contemporain, conceptuel, ainsi que le verbe to con : « escroquer, arnaquer »), dont il a revêtu les œuvres d’artistes tels que Damien Hirst ou Jeff Koons[1]. Il est difficile de ne pas rajouter Banksy à cette catégorie, dont l’arnaque consiste dans l’embrouillement, définitivement achevé par l’ « industrie culturelle », entre la création artistique et le produit récréatif, entre la quête de profondeur et la plaisanterie, entre l’engagement et le culte de la célébrité. On objectera que les pochoirs ironiques de Banksy seraient souvent le véhicule d’une satire féroce, ainsi que de fréquentes critiques contre le marché de l’art. Dismaland, son dernier coup de théâtre, en serait l’exemple parfait. Mais le problème, avec Banksy, c’est le même qui se pose pour la plupart des vedettes de la scène artistique contemporaine : face au récit incessant que les médias nous offrent de ses gestes, cela devient compliqué de s’apercevoir de son populisme déguisé en satire sociale, de l’écrasante banalité de ses affirmations, de l’incohérence qui se cache derrière la critique de ce même marché dont il tire avantage. Récemment interviewé par le Guardian[2] à propos de Dismaland, Banksy remarque justement comment « le marché de l’art […] récompense la livraison régulière de produits facilement reconnaissables ». En même temps, ce n’est pas clair comment « réaliser des sculptures déformées en fibre de verre, installées dans un lido malpropre loin de tout » représenterait une manière de ne pas nourrir les attentes du marché, une façon de faire de l’art ayant « the potential to be a disaster ». Banksy emploie ce mot, « désastre », d’une manière évidemment positive, un peu comme, d’une façon plus ordinaire, on emploierait le mot « révolution », ou à la limite comme Guy Débord employait « détournement ». Mais peut-on vraiment croire que l’art de Banksy, cet art faussement critique et provocatrice, qui ne recueille que du succès et du consensus unanime de la part des médias et du marché, aurait ce pouvoir révolutionnaire, ce potentiel d’être le « désastre » souhaité ?

 

[1] Julian Spalding, « Damien Hirsts are the sub-prime of the art world », The Independent, 27 mars 2012 (http://www.independent.co.uk/voices/commentators/julian-spalding-damien-hirsts-are-the-subprime-of-the-art-world-7586386.html)

[2] Banksy, « I think a museum is a bad place to look at art », The Guardian, 21 août 2015 (http://www.theguardian.com/artanddesign/2015/aug/21/banksy-dismaland-art-amusements-and-anarchism)

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